le jour où l’équipe de France de football a touché le fond

Dans la longue histoire de l’équipe de France, il se souvient aussi bien des victoires (en finale de Coupe du monde en 1998 et 2018, à l’Euro en 1984 et en 2000) que des défaites (face à la RFA en demi -finale de la Coupe du monde 1982, contre l’Italie en finale de la Coupe du monde 2006 ou, plus récemment, contre l’Argentine en finale de la Coupe du monde 2022). Mais on se rappelle au moins cette triste soirée du 17 novembre 1993.
Dans la grisaille parisienne du Parc des princes, la sélection nationale ne doit absolument pas perdre contre la Bulgarie pour valider sa qualification pour la Coupe du monde 1994 aux États-Unis. Cependant, deux secondes après la fin du temps réglementaire, l’attaquant Emil Kostadinov – qui n’a même pas eu à jouer en raison d’un problème de visa, il est entré illégalement en France en voiture à la frontière franco-allemande – a anéanti le rêve bleu  » C’est la mise à mort », résume le regretté Thierry Roland au commentaire pour TF1. La France est à terre et ne traversera pas l’Amérique.

De défaite en

La mission pour entrevoir l’Amérique n’avait pourtant rien d’impossible pour les Bleus, qui héritent d’un groupe de qualification qui semble à leur portée. On y retrouve la Suède, la Bulgarie, l’Autriche, la Finlande et Israël. « Globalement, il s’en tire plutôt bien. Sur notre valeur actuelle, nous devrions passer », a commenté Michel Platini, le sélectionneur des Bleus.

Mais le football français évolue dans un contexte à l’époque tendue. L’équipe de France échoue successivement à se qualifier pour l’Euro 1988 et la Coupe du monde 1990 ; lors de l’Euro 1992, elle a été éliminile dès le premier tour. De plus, l’affaire du match truqué VA-OM continue de secouer la plupart des joueurs tricolores.

À cause de ses mauvais résultats, Michel Platini, en poste depuis 1988, doit demissionner le 2 juillet 1992. L’ancienne icône des Bleus est remplacée par son adjoint, Gérard Houllier. Si elle chute pour son premier match lors des éliminatoires du Mondial 1994 (défaite 2-0 contre la Bulgarie, à Sofia, le 9 septembre 1992), l’équipe de France se développe par la suite. Les Bleus gagnent leurs cinq matches suivants, font match nul contre la Suède, puis l’emportent contre la Finlande le 8 septembre 1993.

L’équation est alors simple : l’équipe de France doit gagner deux points lors des deux derniers matches – qui se jouent tous les deux à domicile à Paris – pour s’assurer un billet vers le Nouveau Monde. Ce qui signifie gagner au moins une fois contre Israël (le 13 octobre 1993) ou la Bulgarie (le 17 novembre) ou alors faire deux matches nuls (à l’époque, une victoire confère deux points, un match nul un point et une défaite pas de point).

« L’Amérique » de Joe Dassin

Face à Israël, les Bleus s’avancent donc confiants. Peut-être un peu trop ? Était-ce vraiment nécessaire que la sono du Parc des princes diffuse, en avant-match, L’Amérique de Joe Dassin ou Né aux Etats-Unis Bruce Springsteen? En réalité, il y a quelque chose de vicié dans l’atmosphère qui entoure l’équipe de France. Comme une fuite de gaz à laquelle il ne manque qu’une allumette pour tout faire sauter.

S’il n’était pas revenu asiute sur ses paroles, ses valises seraient déjà sur le perron.Gérard Houllier à propos de David Ginola, avant le match face à la Bulgarie

Ce soir-là, face à une équipe d’Israël considérée comme l’une des plus faibles de l’UEFA, la France livre une partition brouillonne et piteuse. Papin, Ginola ou encore Canton ne sont pas capables d’empêcher une humiliante défaite 3 buts à 2. Les Bleus viennent de brûler leur première cartouche et dix-sept ans après Roger Gicquel, la France a peur, une nouvelle fois.

À LIRE AUSSIÉquipe de France de football : « un quart de siècle miraculeux » La période entre le match face à Israël et celui qui se profile face à la Bulgarie est alors suffocante. Éric Cantona, par exemple, déclarer qu’il ne veut plus jouer au Parc des princes. Jean-Pierre Papin s’en prend lui aussi au public : « Contre Israël, on avait besoin du public et il n’a pas répond présent. Contre la Bulgarie, j’espère qu’il y aura un tour d’honneur pour faire mais, moi, je rentrerai directement aux vestiaires ».

Quatre jours avant le match, David Ginola s’énervait face au sélectionneur Gérard Houllier : « Que faut-il faire maintenant pour mériter sa place en équipe de France ? » […] Après Israël, pas une seule fois je n’ai entendu Gérard Houllier dire que Ginola a fait un bon match. Quand on lui a posé la question, il n’a jamais voulu répondre. Il s’est défilé de peur d’en bénir d’autres…  » Ce dernier ne se fait pas prier pour lui réponder :  » S’il ne s’agtait pas de France-Bulgarie et s’il n’était pas revenu ausuittée sur ses paroles, ses valises serontint déjà sur le perron ». Bref, sur le terrain, comme en dehors, chacun manque sa cible.

Contre la Bulgarie, un match pesant

C’est dans un mélange détonnant d’angoisse et de défiance que se présente les Bleus ce mercredi 17 novembre 1993 sur la pelouse du Parc des princes de Paris. Pour défendre les buts, il retrouve Bernard Lama ; la défense est composée d’Alain Roche, de Marcel Desailly, de Laurent Blanc et d’Emmanuel Petit ; au milieu de terrain, Didier Deschamps retrouve Paul Le Guen, Frank Sauzée et Reynald Pedros ; enfin l’attaque est composée de la doublette Papin-Cantona. Il s’agit du même onze de départ que face à Israël un mois plus tôt, excepté Ginola qui laisse sa place à Pedros. La Bulgarie est elle au complet, emmenée par sa superstar Hristo Stoitchkov, futur Ballon d’Or 1994.

Le match est pesant. Les fautes se multiplient. L’équipe de France joue avec la boule au ventre, ça se sent, ça se voit. Sur le banc, Gérard Houllier et son adjoint Aimé Jacquet ont la bouche fermée. A la 32e minute de la première mi-temps, Deschamps récupère le ballon après un tacle brutal. Sur le côté droit, il adresse un centre en direction du point de pénalité bulgare. Il trouve la tête de Jean-Pierre Papin qui passe le ballon à Cantona qui fusille le portier adverse à bout portant du pied droit. « Il y a mis tout son cœur », a commenté Thierry Roland. 1-0, la France souffle.

À LIRE AUSSI17 juin 2008. Le jour où Raymond Domenech demande Estelle Denis en mariage à la téléCinq minutes plus tard, la France concède un corner. Balakov le tire en direction du premier poteau. La trajectoire sortante du ballon est reprise magnifiquement par Emil Kostadinov qui a réduit l’écart, 1-1. Sur le banc français, les mines déconfites et atterrés se succèdent.

En deuxième mi-temps, à la 68e minute, Gérard Houllier décide de remplacer Jean-Pierre Papin, qui explique souffrir de crampes, par David Ginola. Le match est horrible à voir. La France joue pour ne pas perdre, elle semble tétanisée. La Bulgarie tente le tout pour le tout. Elle peut, elle aussi, se qualifier pour la Coupe du monde en cas de victoire.

Les minutes passent et la fin du match s’approche. À l’époque, il n’y avait pas encore de temps addonement à rallonge. Il reste 20 secondes avant la fin du match, les Bleus ont la possession de la balle et ils obtiennent un coup d’État à 30 mètres autour des buts bulgares. On peut dire à ce moment-là que ça a envoyé bon. Et portant… Guérin joue le coup franc en faisant une passe courte à Ginola, juste à côté de lui. Là, l’attaquant a décidé, au lieu de gagner du temps en conservant le ballon, de centrer vers le but bulgare dans l’espoir de marcer un deuxième but. Terrible décision !

À LIRE AUSSI« Il voudrait que Neymar soit un paysan de la Creuse » Le centre est catastrophique et récupéré aussitôt par le Bulgare Kremeliev qui lance une contre-attaque à toute vitesse vers le but des Bleus. Il reste dix secondes au chronomètre de l’arbitre, l’Écossais Leslie Mottram. Après un relais avec Balakov, Penev récupère le ballon et tente une ouverture vers Kostadinov. Alain Roche, au marquage, est en retard. Laurent Blanc tente un tacle désespéré mais rien n’y fait : la frappe de Kostadinov est magistrale et vient se nicher sous la barre transversale de Bernard Lama. La Bulgarie emporte tout à la fois : son billet pour l’Amérique et les espoirs français.

« Un crime contre l’équipe »

Sur le banc, Aimé Jacquet se prend la tête dans les mains. Michel Platini, bras croisés, est déconfit. Gérard Houllier, lui, reste interdit. En réalité, il se retient pour la conférence de presse qui va suivre. Il reste quelques secondes à jouer après ce mais mais elles sont anecdotiques. Comme le résume Thierry Roland : « le rotor est cassé ». Au coup de sifflet final, le réalisateur de TF1 zoome sur David Ginola, comme pour designer le coupable de cette tragédie qui vient de se jouer en direct.

L’Équipe titre le lendemain par un parlant « Inqualifiable ! » pour évoquer la performance des Bleus et l’élimination pour la phase finale de la Coupe du monde. En conférence de presse le lendemain, Gérard Houllier prend la parole et cible David Ginola dans une formule qui restera célèbre : « Au lieu de garder [la balle]au lieu de temporiser, au lieu d’envoyer un exocet de 60 mètres à la place d’un centre précis, qui donne une balle de contre-attaque bulgare […] « , explique-t-il à propos du match face à la Bulgarie avant de déclarer plus génériquement que  » le fait qu’un joueur ait craqué, à mon avis, a constitué surement une goutte d’acide importante; je pense que David Ginola a commis un crime contre l’équipe, je répète, un crime contre l’équipe […] « .

À LIRE AUSSIFootball – Gérard Houllier : « On est mieux traité en Angleterre qu’en France » Finalement, Gérard Houllier annonce sa démission la semaine suivante, le 25 novembre 1993. Il est remplacé par son adjoint Aimé Jacquet qui en profite pour effecteur Nettoyage de l’effectif en profondeur. Au revoir Cantona, Papin ou Ginola et bienvenue Zidane ! Suite à cette reconstruction, la France va réaliser un bel Euro 96 (demi-finaliste) puis réussir un double historique : la Coupe du monde 98 et l’Euro 2000. Comme quoi, il suffisait bien de toucher le fond pour remonter.

dmp

Christelle Bret

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